La migration est maintenant dernière nous et le printemps 2019 aura été des plus singuliers au Québec. Alors que des conditions météo défavorables sévissaient dans l’est de la province pendant plus d’une semaine (vers la mi-mai) bloquant l’arrivée des oiseaux, le sud-ouest du Québec connaissait une abondance et une diversité exceptionnelle d’oiseaux au même moment. La ligne de blocage, au lieu d’être aux États-Unis, comme c’est souvent le cas en mai, se trouvait dans la région de Montréal, au plus grand bonheur des observateurs du secteur et de l’équipe de l’Observatoire d’oiseaux de McGill qui a connu une multitude de journées incroyables.
Il aura fallu attendre les 7 derniers jours du mois de mai pour enfin avoir droit à des arrivages intéressants de passereaux néotropicaux (parulines, viréos, moucherolles, etc.) sur la Côte-Nord. C’est à ce moment que nous avons eu la chance d’assister à de belles corrections migratoires (ou migrations inverses) aux dunes de Tadoussac, incluant 2 passages de plus de 20 000 oiseaux longeant les dunes à basse altitude. Plusieurs ornithologues provenant du Québec, des États-Unis et d’ailleurs au Canada ont alors pu assister à ces migrations diurnes spectaculaires, qui font maintenant la réputation du site!
C’est lors d’un des premiers mouvements d’importance qu’André Desrochers, professeur à l’Université Laval et membre du comité scientifique de l’OOT ainsi que d’autres ornithologues de notre équipe notent que les oiseaux de la même espèce semblent se tenir ensemble lorsqu’elles défilent le long de la dune. En d’autres termes, il apparaît que lorsqu’un individu d’une espèce passe, les chances soient relativement élevées que le prochain individu qui passera soit de la même espèce. Mais est-ce juste une apparence? Une manière de le déterminer est d’approcher le problème statistiquement.
André Desrochers propose alors d’établir la liste exacte de chaque oiseau qui est observé lors de ces passages. Les oiseaux seront enregistrés directement sur un cellulaire, ce qui permettra de noter le moment exact de l’observation. L’équipe composée d’abord par André Desrochers et Laetitia Desbordes, pourra finalement mener ce test lors de 4 matinées. Le premier matin, il a été possible d’établir une séquence de 1007 oiseaux appartenant à 29 espèces. 333 fois, l’oiseau suivant était de la même espèce que le précédent. Est-ce élevé par rapport à ce qu’on obtiendrait par hasard? La manière de déterminer cela est justement de créer une situation de hasard – facile, il suffit de mélanger l’ordre des 1007 oiseaux, un peu comme on brasse un jeu de cartes, compter les séquences de la même espèce, et répéter un grand nombre de fois.
Après 10,000 fois, ce qui prend un gros 6 secondes sur l’ordinateur, on a constaté que le nombre moyen de séquences de la même espèce, en assumant qu’elles « se foutent l’une de l’autre », était de 133, donc bien plus faible! Aucune des 10,000 simulations ne donnait un résultat aussi élevé que le 333 obtenu. Le même phénomène s’est répété lors des 4 matinées où on l’a mesuré (voir graphiques ci-bas). Donc, oui, les oiseaux de la même espèce se sont tenues ensemble, du moins ces 4 matinées! Ce phénomène d’attraction conspécfique chez les passereaux en migration a été peu documenté jusqu’à maintenant. La littérature à ce sujet est assez mince et les corrections migratoires constituent une belle occasion de documenter le tout de façon plus importante!
NB : en gris, les décomptes simulés au hasard, en rouge les décomptes réels